Une démocratie ne saurait se maintenir sans le respect de la vie privée. Ce que je viens d’écrire est peut-être évident pour la plupart des gens, mais j’entends trop souvent dire « je n’ai rien à cacher » et cela m’inquiète beaucoup sur notre capacité à comprendre et respecter le principe de la vie privée dans un avenir plus ou moins proche.
Internet nous ouvre des milliers de possibilités dans tous les domaines. Rencontrer et échanger avec des gens à l’autre bout du monde, commander des biens et des services de toutes sortes, trouver du travail, travailler, s’amuser, échanger avec des personnalités publiques auparavant beaucoup moins accessibles, accéder à l’information en temps réel pour connaitre la météo (un outil indispensable pour les agriculteurs, les marins ou les surfeurs), connaitre les dernières tendances, les polémiques du moment ou fournir soi-même de l’information lorsqu’on est en première ligne (on ne compte plus les faits d’actualité plus ou moins graves que nous apprenons en temps réel grâce aux réseaux sociaux), cet outil merveilleux ouvre un grand nombre d’opportunités aux individus, mais comme n’importe quel outil, chacune de ces opportunités positives s’accompagnent de risques de dérives, des dérives parfois évidentes, parfois insidieuses, qu’il est nécessaire de garder en tête pour ne pas y céder. Cet article traitera de l’une de ces dérives, mais il n’exclue en rien toutes les autres.
Pour les besoins de mon article, j’utiliserai deux expressions :
– « En ligne » signifie lorsque nous sommes sur Internet.
– « Hors ligne » signifie lorsque nous ne sommes pas sur Internet. D’autres parlent de « IRL » (In Real Life = dans la vie réelle) mais cela voudrait dire, par opposition, que la vie en ligne n’est pas réelle, or elle est tout ce qu’il y a de plus réel, alors je préfère parler de « Hors ligne », ou « AFK » (Away From Keyboard = Loin du clavier).
Il y a encore quelques années, l’utilisation de pseudonymes était surtout l’apanage des artistes ou des auteurs de pamphlets, certains étaient d’ailleurs beaucoup plus connus sous leur nom de plume que sous leur nom réel. Si je vous parle d’une certaine Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, vous allez me regarder de travers. Cette femme est mondialement connue pour avoir transgressé des tas de règles de son époque, notamment écrire des livres, ce qu’on a longtemps estimé qu’une femme n’avait pas la capacité de faire, elle est ainsi devenue une référence du féminisme à travers les siècles qui suivirent sa mort, mais sa reconnaissance mondiale est basée sur le pseudonyme qu’elle utilisait pour écrire, à savoir George Sand. Ce n’est pas la première qui a fait usage d’un pseudonyme, et ce n’est surtout pas la dernière. Les raisons du choix du pseudonymat peuvent être multiples. Pour reprendre l’exemple d’Amantine, elle avait choisi de s’appeler George Sand pour écrire et être prise au sérieux dans un monde où les femmes étaient très loin d’être considérées comme l’égale des hommes.
Autre exemple, Henri Beyle a utilisé beaucoup de pseudonymes avant de se faire connaitre sous le nom de Stendhal, il expliquait ses choix comme une volonté de se cacher ou encore une manière de choisir son identité en rupture avec celle imposée par la filiation. Mais cette pratique du pseudonymat s’est aujourd’hui démocratisée dans de nombreux milieux, notamment grâce à Internet.
Choisir sa vie
L’émergence d’Internet a permis à de nombreuses personnes de se créer une (ou plusieurs) vie(s) très différente(s) de leur vie hors ligne. Combien d’entre nous ont déjà fait usage d’un pseudonyme pour s’exprimer en ligne ou pour simplement jouer à un jeu vidéo ?
Prendre un pseudonyme, c’est la possibilité de devenir anonyme sans pour autant réellement l’être, car gardons bien en tête que même si la plupart des discours politiques de notre époque expriment une volonté de lutter contre l’anonymat sur Internet, il n’existe pas d’anonymat sur Internet, le pseudonymat ne vous met pas à l’abri de représailles si vous contrevenez à la loi, la police bénéficie de moyens pour vous retrouver et la justice saura vous punir si vous faites n’importe quoi, mais tant que vous respectez la loi, vous avez le droit de prendre un pseudonyme, et ce droit devrait être maintenu coûte que coûte.
Aussi, les discours politiques qui proposent de mettre fin à l’anonymat ou, à travers lui, au pseudonymat, puisque c’est bien de cela qu’il est question, sont à mon sens dangereux pour nos libertés et pour la démocratie. Le pseudonymat vous permet de cacher votre identité sociale aux yeux du monde qui vous entoure pour vous protéger, pour protéger le monde autour de vous, pour acquérir un peu plus de liberté de parole ou de mouvement en dépit de votre genre, de votre origine, de votre religion, de votre orientation sexuelle ou de vos choix politiques… Dans certaines circonstances, vos interlocuteurs n’ont pas besoin de savoir que vous êtes une femme ou un homme, que vous venez de tel ou tel pays ou que vous pratiquez telle ou telle religion, toutes ces choses que votre prénom, votre nom, votre voix ou votre accent peuvent trahir.
Lorsque vous jouez à un jeu vidéo, ces informations importent peu à vos camarades de jeu. Lorsque vous vous exprimez, vous n’avez peut-être pas envie qu’on vous attaque pour ce que vous êtes, des attaques qui, par ailleurs, démontrent toujours le vide argumentaire de ceux qui les prononcent. Le pseudonymat peut rendre bien des services dans bien des situations, et faciliter beaucoup d’échanges entre les personnes en ôtant toute forme de jugement personnel.
Par exemple, vous connaissez le principe du CV anonyme : avec cette pratique, on est sensé embaucher une personne sur la base de ses compétences sans a priori sur le nom, la photo ou le genre. Autre exemple, dans le cadre d’un débat sous pseudonyme, par exemple sur un forum en ligne ou sur les réseaux sociaux, on va écouter (ou plus souvent lire qu’écouter) les arguments de la personne sans considération de ce qu’elle est, sauf si cette personne revendique ce qu’elle est pour poser des arguments ou pour juger ceux de son interlocuteur, auquel cas le débat devient bien souvent un dialogue de sourds et il semble inutile de le poursuivre.
Fun fact : Je travaille sous pseudo…
Il y a quelque chose que mon tout premier employeur m’a dit avant de m’embaucher et dont je pense que je me souviendrai toute ma vie, d’autant plus maintenant que ce sera écrit dans cet article. Lors de mon entretien d’embauche, il m’avait alerté sur le fait que j’allais commencer à travailler pour une organisation médiatiquement en vue, et qu’en tant que salariée de cette organisation, je risquais d’être scrutée, on ferait surement des recherches sur moi pour trouver mes failles, on chercherait dans mon passé pour savoir ce que j’ai dit ou fait qui pourrait porter préjudice à l’organisation, cela m’avait marquée et je me suis empressée de faire le vide dans mes données personnelles en ligne.
Dans un moment de panique à l’idée que tout cela arriverait et qu’on tombe sur des photos de moi bien avinée (il y en avait quelques unes qui trainaient), j’ai aussitôt supprimé mon profil Facebook pour en créer un nouveau pour le travail. À vrai dire, mon employeur avait tort, pendant toute la période où j’ai travaillé pour EELV, personne n’a cherché dans mon passé, personne n’a fouillé pour savoir ce que j’avais fait qui aurait porté préjudice à l’organisation, en fait tout le monde s’en foutait de qui je pouvais bien être, j’étais cette petite provinciale qui faisait la basse besogne, je ne mettais personne en danger dans l’organisation parce que je n’avais aucune ambition interne ou politique qui aurait pu mettre les autres en difficultés, et même si j’en avais je n’étais définitivement personne à leurs yeux, personne d’autre qu’une petite assistante inutile et dont tout le monde se foutait, c’est le douloureux constat auquel je suis arrivée récemment quand j’ai traversé la plus douloureuse épreuve de ma vie d’adulte et qu’absolument personne, parmi ces gens que j’estimais et que j’ai considéré pendant des années comme ma deuxième famille, n’a pris de mes nouvelles.
J’avais donc été embauchée sous mon nom d’usage et puis j’ai rapidement été candidate à des élections, mon nom est inscrit dans les fichiers électoraux du Ministère de l’Intérieur depuis 2012, ça ne me dérangeait pas à l’époque parce que j’étais toujours une jeune inconnue dans un très grand parti et personne ne m’a emmerdée pendant tout le temps où j’ai milité et travaillé chez EELV. Ce n’est que quand j’ai commencé à m’engager au Parti Pirate, que les ennuis ont commencé.
Au moment où j’ai annoncé sur les réseaux sociaux que j’avais rejoint le Parti Pirate et que je serai candidate sous cette bannière pour les élections législatives de 2017, j’ai reçu des message de la part d’un ancien militant qui avait visiblement des comptes à régler avec des Pirates. Il m’a dit que je ne savais pas ce que je faisais en rejoignant ce parti, il a cherché à me donner des leçons sur ce que je devrais faire, ce à quoi j’ai répondu que je préférais me faire mon propre avis et faire mes choix seule et que je n’avais définitivement pas besoin de l’avis de qui que ce soit sur mes choix politiques et militants. Ensuite il a commencé à devenir insultant, à me prendre de haut, et chaque fois que je publiais quelque chose il me tombait dessus en privé, parfois en public. Je l’ai très rapidement bloqué, ce qui a généré chez lui une profonde frustration, il m’a ajoutée à la liste des membres du Parti Pirate qu’il harcelait déjà, il a trouvé mon mail et m’a envoyé des mails violents à plusieurs reprises.
Mon employeur d’alors avait lui aussi reçu un mail de la part de mon nouveau « plus grand fan », un mail qui racontait que j’étais une menteuse et que je n’avais pas les compétences pour le poste occupé. J’ignore encore jusqu’à quel point ce mail a dégradé la relation de confiance que j’avais avec mon employeur, le fait est que je ne suis pas restée longtemps dans cette entreprise. Après cette odieuse atteinte à ma vie privée, j ‘ai annoncé sur tous mes réseaux sociaux que je m’apprêtais à déposer plainte, j’ai reçu le soutien public d’un avocat très réputé et finalement je n’ai plus jamais entendu parler de mon harceleur. Je ne sais pas si c’est l’annonce de ma plainte ou les nombreux soutiens reçus qui l’ont calmé, le fait est que ni moi ni les autres Pirates n’avons reçu de mails depuis, alors que jusqu’à cette date il nous contactait régulièrement et il polluait tout aussi régulièrement tous nos documents de travail publics. Peut-être avait-il pris conscience du fait qu’il était allé beaucoup trop loin dans son délire de persécution.
Dans le job que j’ai eu juste après, mon engagement militant était beaucoup trop dérangeant pour certaines personnes avec lesquelles je devais travailler, elles s’en sont servi contre moi pour demander à ma direction mon départ et prétexter régulièrement une incompatibilité politique qui les empêchaient de me faire confiance. Bien qu’il soit complètement illégal de licencier une personne sur la base de son engagement politique personnel, cette loi reste toutefois très difficile à appliquer lorsque vous occupez un poste lui-même à caractère politique. Il y avait aussi eu quelques remarques sur le fait que cela devait être compliqué d’être à la fois cheffe de cabinet et tête de liste à des élections européennes, des remarques que des hommes à ma place n’ont probablement jamais dû entendre de leur vie vu le nombre d’hommes qui sont à la fois élus et salariés.
Je n’ai finalement pas été licenciée à cause de mon engagement militant, enfin pas seulement à cause de cela, et surtout pas directement à cause de cela, mais les remarques demeurent très vivement inscrites dans ma mémoire, et je refuse dorénavant que mon engagement politique soit une barrière au bon déroulement de ma carrière professionnelle ou une opportunité pour me tenir des propos misogynes qui me mettraient en difficulté professionnellement.
Avec le recul que j’ai aujourd’hui, je me dis que j’aurais dû commencer ma carrière politique (qui est intimement liée à ma carrière professionnelle) sous un pseudonyme. Mais on ne peut pas réécrire l’histoire, et il me faut maintenant faire avec. Alors j’ai fait un autre choix. Mon prénom est connu de tout un tas de monde aujourd’hui, et j’ai un prénom peu commun, si vous cherchez « Florie Marie » sur n’importe quel moteur de recherche vous allez assez rapidement tomber sur un article de presse qui parle de moi, et il est très probable que ça n’aille pas en s’arrangeant. Qu’à cela ne tienne, puisque je ne suis plus une anonyme parmi les anonymes, mon prénom deviendra mon pseudonyme, et pour travailler je ferai usage dorénavant d’un autre prénom.
Depuis plus d’un an maintenant, je travaille pour une entreprise qui n’a rien à voir avec la politique et qui a accepté de m’employer sous un autre nom. Cela arrange tout le monde, eux n’auront pas à subir mon engagement militant dont ils ont pleinement conscience et qu’ils acceptent complètement mais qui n’entrera pas ainsi en considération lors de mes rendez-vous avec les clients, et moi je n’aurai pas à subir mon engagement militant comme un fardeau que je dois parfois justifier auprès de gens qui ont tendance à me juger à l’aune de ce qu’ils pensent savoir de moi. L’inconvénient principal à cette situation est qu’il est difficile de parler de mon travail sans pour autant « griller ma couverture ». Mais je compte sur la bienveillance des personnes à qui j’en parle pour qu’elles gardent l’information pour elles afin que les personnes qui chercheraient à me nuire ne m’atteignent pas.
Dans le cadre militant, malgré le fait qu’au Parti Pirate, nous cultivons le pseudonymat, j’avais choisi dès le premier jour de mon engagement, consciente de ce que cela pouvait impliquer au départ, de prendre « Florie » comme pseudonyme. Ma principale identité était de toute façon grillée depuis ma première campagne électorale, autant rester fidèle à moi même politiquement…
Le Parti Pirate et la culture du pseudonymat
Le Parti Pirate est un parti politique qui est pleinement issu de la culture du net et qui le revendique. Avec cette culture, il a hérité de ses pratiques et notamment celle du pseudonymat. C’est donc tout naturellement que le Parti Pirate a appliqué le principe du pseudonymat dans son fonctionnement. Ainsi rejoindre le Parti Pirate, c’est choisir une organisation dans laquelle on peut militer sans avoir à donner son genre, sa couleur de peau ou sa religion, une organisation dans laquelle on a le droit de choisir son identité et dans laquelle cette identité sera respectée aussi longtemps que l’on respectera l’identité choisie par les autres membres.
Quand on n’a pas l’habitude, au départ, c’est déstabilisant, toutes ces personnes qui se parlent très sérieusement de sujets très sérieux tout en utilisant des pseudonymes parfois pas très sérieux pour s’adresser les uns aux autres, ça fait tout drôle. Et puis plus on évolue dans cet univers, plus on s’habitue à la pratique, à la fin on finit même pas être tellement habitué qu’on n’y fait même plus attention, on ne se préoccupe même plus de connaitre les prénoms des personnes avec lesquelles on échange, en ligne ou hors ligne, ce qui compte c’est ce qui est dit, pas la personne qui le dit.
Cela permet aussi de mettre de la distance entre ce qu’on dit et ce qu’on est, on exprime des idées avec une identité, et selon notre degré d’implication dans cette identité, on prendra plus ou moins personnellement les réponses qu’on nous apportera. Le débat est apaisé, plus serein, les échanges tournent moins autour des personnes, les arguments ne sont plus des attaques personnelles, ou en tous cas moins vécus comme tels, on arrive à prendre du recul entre ce qu’on est et ce qu’on dit, cela permet de rendre les discussions plus pertinentes, moins stériles. Alors évidemment, ça ne fonctionne pas toujours parfaitement, mais tant que la volonté de se respecter est présente, les choses peuvent avancer.
Pseudonymat et parité
Le choix du pseudonymat implique un autre choix, celui de faire une croix sur les questions de parité. C’est aussi la conséquence d’un autre choix, celui de travailler en horizontalité. Lorsque toutes les personnes membres de l’organisation prennent les décisions, comment alors faire en sorte que les décisions soient prises de manière paritaire si ce n’est en demandant à chacun des membres de justifier de son genre ?
Les organisations traditionnelles choisissent souvent de mettre en place des systèmes de binômes paritaires à la tête des instances internes, mais cette pratique est à double tranchant. Si elle permet effectivement de laisser à des femmes plus de place, elle n’est pas forcément la réponse la mieux adaptée dans toutes les situations. Cette pratique peut parfois provoquer des blocages : une organisation n’aura pas toujours assez de volontaires pour prendre le lead, et parmi les volontaires, les femmes peuvent se faire rares, le problème est systémique, il n’est pas lié à l’organisation à proprement parlé, il est lié à la société et à ses fondements patriarcaux dont il est difficile de s’extraire avec toutes les bonnes volontés du monde. Combien de fois ai-je entendu des femmes parler du fait qu’en s’engageant en politique elles doivent mettre de côté une partie de leur vie de famille, à quel point cela peut être lourd pour un couple lorsque la femme s’engage, alors que les hommes ne se posent que très rarement ces questions.
De la même manière, une femme aura des scrupules à s’engager, estimant qu’elle n’a pas les compétences nécessaires pour le faire, pour occuper telle ou telle responsabilité, mais ce n’est pas en encourageant les femmes à prendre des responsabilités en concurrence avec les hommes que cela arrangera les choses. Pour que les femmes s’estiment légitimes à occuper des responsabilités, il faut d’abord qu’elles comprennent et acceptent une bonne fois pour toutes que les hommes ne se posent pas autant de questions. En politique, comme dans de nombreux domaines, toutes les études concordent, les femmes sont bien plus exigeantes avec elles-mêmes que les hommes ne le sont avec eux-mêmes, cela est probablement dû au fait qu’elles ont bien plus à perdre que les hommes si elles ne sont pas à la hauteur des attentes, ou que les attentes en question sont bien plus élevées pour les femmes que pour les hommes, et le problème est là.
L’accès aux responsabilités pour les femmes est toujours quelque chose de difficile parce qu’elles se posent des multiples barrières que le système leur a inculquées à force de les sous-estimer, de les enfoncer, mais je ne suis pas complètement convaincue que la discrimination positive dont nous bénéficions, à travers des systèmes de représentation paritaires binaires tels qu’appliqués dans la plupart des partis traditionnels, des systèmes hérités d’une culture patriarcale latente qui ne font que forcer des personnes à entrer dans des cases, soit finalement d’une grande aide dans notre combat pour l’égalité. J’ai peur qu’au contraire cela soit à la base de plusieurs frustrations qui provoquent plus de dégâts au féminisme que d’apports positifs, parce qu’une concurrence déloyale s’installe alors avec les hommes dans la course à la représentativité dans les organisations traditionnelles dans lesquelles le pouvoir est traditionnellement vertical.
Par ailleurs, cette discrimination positive ne génère pas elle aussi une forme de charge mentale pour les femmes qui sont alors sommées de s’engager à des niveaux bien plus élevés que ce qu’elles souhaitaient initialement donner, « pour la cause » ?
Comme je l’écrivais précédemment, le Parti Pirate a hérité de la culture du net, et avec cette culture malheureusement, le Parti Pirate a hérité d’une proportion d’hommes très importante. Le système éloigne les femmes de la politique, le système éloigne les femmes de l’informatique, donc c’est très logiquement que le système éloigne les femmes du Parti Pirate. Pour autant, il y a des femmes engagées au Parti Pirate, elles le sont comme les hommes, à leur niveau selon leurs disponibilités, en fonction du temps qu’elles ont à y accorder. Il n’y a pas de responsabilité au sens où on l’entend dans notre parti, ce sont les membres qui prennent les décisions et pas un groupe représentatif élu selon des règles plus ou moins justes, ou selon un quelconque système binaire hétéronormé.
Nous avons fait le choix, hérité de la culture que nous revendiquons, de renverser complètement le système de prise de décision, et plutôt que de filtrer les décisions verticalement, nous avons choisi de les prendre au niveau des membres de l’organisation, mais pas d’un ou deux membres, bien de l’ensemble les membres, quelque soit leur temps libre ou leur niveau d’engagement. C’est l’ensemble des membres qui décide, et les personnes qui font le choix de s’engager dans des groupes de travail dédiés à l’organisation des travaux du parti n’ont pas les mêmes responsabilités que celles qui sont données à des responsables dans des partis traditionnels.
Nous avons des porte-paroles, leur rôle est bien de porter la parole, de nous représenter au sens propre du terme, pas au sens traditionnel comme le font ceux qui sont élus dans les partis traditionnels, nos porte-paroles nous représentent, ils ne prennent pas nos décisions à notre place. C’est un rôle de représentation pure, pas décisionnel, et c’est très important de le préciser parce que ça change tout, dans le bon sens. Nos porte-paroles ont accepté, en endossant ce rôle, de tirer un trait sur leur anonymat, de la même manière que les volontaires qui participent aux élections en notre nom, et c’est peut-être cela qui rend notre parti politique si particulier.
Les membres du Parti Pirate ne s’y engagent pas pour être élus mais bien pour porter des idées, souvent sous pseudonyme, c’est pour cela qu’il est difficile de savoir qui composent notre organisation, c’est pour cela qu’il est difficile de trouver des volontaires pour participer aux élections, ou pour porter la parole publiquement, parce qu’alors on doit accepter de rendre notre identité publique, cela peut nous mettre en difficulté, et c’est le cas pour n’importe quel parti politique, l’injonction à s’engager publiquement est plus facile à endosser quand on est un homme que quand on est une femme, mais s’engager devient encore plus facile quand on peut choisir sous quelle identité le faire.
Alors, aujourd’hui, dans notre société malade de cette représentativité exacerbée, alors que nous aspirons de plus en plus à libérer l’expression à travers des outils numériques de plus en plus surveillés par des États gangrenés par l’autoritarisme, le pseudonymat serait-il la clé de la démocratie ?