Des nids de démocratie · 17 janvier 2021

Choisir, une nouvelle façon d’élire

Notre République actuelle prévoit l’élection de personnes au suffrage universel direct pour nous représenter dans certaines de ses instances. Si je ne suis pas une fervente adepte de la représentativité et bien que je lui préfère la démocratie directe, je reste très critique sur les méthodes actuellement utilisées pour élire ces représentants.

Les biais du scrutin majoritaire uninominal à deux tours

Pour élire la personne qui présidera notre pays, ainsi que nos représentants parlementaires de circonscription, nos députés, nous procédons, à l’instant où j’écris ces lignes, à un scrutin majoritaire uninominal à deux tours (en ce qui concerne l’élection des députés, j’ai déjà écrit une proposition dans un autre article de ce blog). Le scrutin majoritaire uninominal à deux tous est un vote au cours duquel nous sommes invités à sélectionner, parmi un choix fermé, une personne qui restera ensuite, si rien ni personne ne s’oppose à ce qu’elle le reste au cours de son mandat, élue pour une durée de 5 ans. 

Cette personne propose, afin de se faire élire, et si elle le souhaite, le programme politique de son choix mais elle n’est en aucun cas tenue de respecter ce programme au cours du mandat qu’elle obtiendra à l’issue de l’élection puisque ce mandat n’a aucun caractère impératif. Dans le cas de l’élection présidentielle, la personne qui remporte l’élection désigne ensuite le Premier Ministre de son choix qui lui propose à sont tour les noms des personnes de son choix pour former un Gouvernement. 

Cette façon de faire incarner le pouvoir par une seule personne est une sorte de tradition dans notre pays. Les quelques tentatives pour mettre en place un régime parlementaire, dans lequel tout le pouvoir ne serait pas incarné par une personne seule, ont échouées en laissant la place, bien malgré elles, à des régimes autoritaires, voire carrément totalitaires. Par exemple, quelques temps après la défaite du royalisme par la Révolution de 1789, alors que la Ière République essayait tant bien que mal de se construire, Napoléon Ier nous fit rapidement retourner dans un régime impérial. Et quelques temps après que les derniers résidus de la famille Bonaparte acceptèrent de rendre le pouvoir au peuple, alors que notre pays essayait de construire un régime parlementaire avec une IIIème République, une dictature totalitaire, incarnée par Hitler et soutenue en France par Pétain, s’y est opposée.

Et c’est probablement cette tradition du chef, bien ancrée dans nos esprits, et la volonté de valoriser les hommes qui ont contribué, par leurs actes, à « la grandeur de notre nation », qui ont poussé De Gaulle et ses soutiens à promulguer notre République actuelle, la Vème, qui précise le rôle du Président de la République, la façon dont il est élu, les modalité d’exercice de son mandat et lui octroie, en outre de la place symbolique qu’un monarque occuperait dans une République monarchique, un grand pouvoir exécutif. 

Notez, en passant, que juste avant la Vème République, la IVème République était une autre tentative de régime parlementaire qui échouait lamentablement en face de cette si belle et rassurante opportunité pour notre pays paternaliste de faire encore une fois incarner le pouvoir par un seul homme.

Ce pouvoir est renforcé, depuis l’inversion du calendrier électoral, par le pouvoir législatif de l’Assemblée nationale, élue juste après le Président, par un scrutin quasi identique, ne laissant que peu de place à un gouvernement de coalition, ou à une quelconque opposition réelle. 

Comment appelle-t-on un régime dans lequel le pouvoir est entre les mains d’un seul parti politique et dans lequel il n’existe aucune réelle opposition ?

Et, autre question, qu’est-ce qui a bien pu piquer Lionel Jospin pour qu’il accepte d’inverser ces deux élections ?

Ce système permettant de déterminer qui, parmi plusieurs personnes, représente le plus de monde, ne permet finalement pas une représentativité équitable des différentes idées ou idéologies politiques qui s’expriment à travers les partis politiques qui concourent aux élections. En effet, dans un scrutin majoritaire uninominal à deux tours, nous n’élisons pas véritablement la personne qui recueille la majorité des voix du pays ou de la circonscription électorale concernée, ou l’assentiment plein et entier de cette potentielle majorité, nous élisons, par élimination, la personne qui aura été considérée comme, d’une part, la moins pire des candidatures portées à notre connaissance, et d’autre part, la plus apte à gagner l’élection face à la pire des candidatures.

Rares sont les électeurs pleinement satisfaits de leur vote ou du résultat d’une élection. 

Et au regard des bilans de leurs élus, les électeurs satisfaits sont bien souvent encore plus rares 5 ans après, une fois le mandat terminé.

S’il arrive que des députés soient réélus, l’exploit est devenu de plus en plus rare. Il en va de même pour l’élection présidentielle.

Si on observe les deux dernières élections présidentielles avant 2017, les deux présidents sortants n’ont soit pas été candidat (Hollande), soit pas été réélu (Sarkozy). Et en 2022, si on en croit les projections au regard des sondages d’opinion au sujet de notre actuel Président, la réélection d’Emmanuel Macron à sa succession n’est absolument pas assurée aujourd’hui. Il faudra déjà qu’il ose se présenter à nouveau au suffrage de ses pairs, ce qu’il avoue lui-même ne pas être assuré de pouvoir faire compte-tenu de certaines « choses » qu’il devra faire avant la fin de son mandat (selon ses propres mots), et par ailleurs, s’il décide de se présenter à l’élection présidentielle, si cette élection existe encore en 2022 (on est en droit de s’en inquiéter un peu vu les propos tenus par Emmanuel Macron) il faudra qu’il réussisse à convaincre suffisamment de monde qu’il n’a pas menti sur ses intentions lors de sa première élection en 2017.

Cela dit, il ne sera pas difficile de se défendre de ne pas avoir suivi le programme pour lequel on était candidat quand le programme en question n’existe pas et n’a jamais existé. Souvenez-vous, c’était un projet, et non un programme, qu’En Marche avait porté en 2017, un projet que les marcheurs pourront toujours assumer avoir mené à son terme ou demander à vouloir continuer à mener en 2022 et, dans le cas où aucun changement ne surviendrait sur le scrutin utilisé pour élire le Président et les députés d’ici là, si les électeurs décident de croire en la bonne foi des élus sortants, si l’offre politique en opposition et suffisamment apte à l’emporter est insuffisamment convaincante, ou si les électeurs sont trop peu nombreux à se déplacer pour voter contre les sortants, il est tout à fait possible que le parti actuellement majoritaire le reste pour encore 5 années de plus.

Élus à la majorité des exprimés

Le principe d’un scrutin majoritaire uninominal à deux tours, c’est qu’il permet d’élire un représentant par une majorité de la population. Mais les personnes élues sont rarement représentatives de la majorité notamment à cause d’un taux d’abstention de plus en plus important au fil des élections (voir mes articles sur le vote blanc et sur l’abstention). Pourtant, le pouvoir qui est accordé à nos élus est bien trop important pour qu’ils ne soient pas équitablement représentatifs d’au moins la moitié de la population de la zone géographique concernée.

Alors comment faire pour, d’une part, avoir des élus représentatifs de la population convenablement élus, et d’autre part, faire revenir les électeurs convaincus par la représentativité, mais déçus par ceux qui l’incarnent, dans leurs bureaux de vote lors des élections ?

Pour ce qui concerne les élections législatives, j’ai déjà longuement expliqué mon point de vue. Dans le cas où l’on conserverait un système représentatif, une solution serait de mettre en place un scrutin proportionnel de liste à l’échelon national. 

En revanche, cela devient plus compliqué lorsqu’il s’agit d’élire une seule personne. Si je pense qu’un régime parlementaire temporaire et dont l’objectif serait d’encadrer une transition progressive vers une démocratie directe pourrait nous aider à sortir progressivement de la monarchie présidentielle dans laquelle nous nous complaisons, je pense qu’il faut également considérer le scrutin nous permettant d’élire notre président, et par là même tout scrutin permettant l’élection d’une seule personne parmi plusieurs candidatures lorsque la situation l’exige.

Le jugement majoritaire pour la recherche d’un consensus 

Nous ne sommes pas dans un pays totalitaire, bien au contraire, nous, les français, l’avons démontré à plusieurs reprises et de bien des manières, nous sommes presque incapables de nous rassembler collectivement, comme un seul homme, autour d’une seule et même idée, encore moins autour d’une seule et même personne. Et dans notre pays, toute opposition, bien que difficile à organiser, reste encore aujourd’hui, et sous certaines conditions, libre d’être exprimée de bien des manières, et si la visibilité de ces oppositions est très inéquitable, leur expression reste libre et nécessaire. 

Je pars du principe que le débat est nécessaire pour atteindre la société que nous voulons ensemble, et nous ne pouvons nous résoudre à nous ranger aveuglément derrière une seule et même personne ou idée pour y parvenir. Cependant, si nous devons être amenés à le faire, alors j’aimerais que nous le fassions dans le respect des avis de toutes les personnes qui participent à la décision et dans une recherche systématique de consensus. J’aimerais que la personne que nous élisons le soit non par une minorité parmi les minorités, mais par une volonté commune de se fier à la personne que nous estimons la plus consensuelle parmi nous. Et pour cela, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours qui encadre l’élection présidentielle est très loin d’être le scrutin le plus adapté, et encore plus loin d’être le plus équitable.

Le jugement majoritaire est un mode de scrutin inventé très récemment, en 2011, par deux chercheurs français, Michel Balinski et Rida Laraki. Il propose à l’électeur de noter chaque candidature déposée pour un même scrutin de manière individuelle.

Alors que le scrutin majoritaire uninominal à deux tours met tous les concurrents en compétition les uns avec les autres, le jugement majoritaire va plutôt viser à mettre les concurrents en compétition avec eux-même puisque l’électeur va devoir attribuer un jugement parmi un certain nombre d’évaluations évolutives, entre 5 et 7, de « à rejeter » à « très bien », et ce pour chaque candidature. 

Autrement dit, lorsque vous votez à l’élection présidentielle aujourd’hui, vous devez choisir une (ou aucune) candidature et éliminer ainsi toutes les autres, avec un jugement majoritaire vous ne choisissez pas, ce sont les appréciations de tous les électeurs pour chacune des candidatures qui déterminent, lors du dépouillement, laquelle est la plus consensuelle. 

Avec un jugement majoritaire, les candidatures les moins consensuelles, celles qui obtiennent un rejet plus important que les autres, sont exclues au profit des candidatures qui recueillent le plus de soutiens. Ainsi, une candidature qui recueillerait des moyennes ou des bonnes notes mais peu de rejet pourrait plus facilement être élue qu’une candidature qui recevrait davantage de notes excellentes mais aussi un grand nombre de rejets.

La personne ainsi équitablement élue serait alors beaucoup plus légitime pour mener son mandat, son élection décevrait moins de monde mais les attentes seraient également moindres puisque sans doute moins passionnées. Par ailleurs, avec un tel type de scrutin, l’expression des électeurs est réellement prise en compte dans le décompte des voix puisqu’on ne se contente plus de prendre le candidat qui recueille le plus de voix. 

Avec un jugement majoritaire, nous pourrons dire, sans hypocrisie enfin, que chaque voix compte.

Depuis la réforme des statuts du Parti Pirate survenue en mars 2018 et à laquelle j’ai beaucoup contribué, les mandats sont tous attribués au jugement majoritaire. C’est le premier parti politique qui, en outre d’en défendre le principe, l’a intégré dans son fonctionnement interne avec une idée simple : Quand on souhaite porter une idée, le meilleur moyen de la défendre c’est encore de se l’appliquer à soi-même. 

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Sources