On nous raconte une jolie petite histoire en France. N’importe qui peut se présenter aux élections, c’est un fait, dès lors que vous êtes inscrit sur une liste électorale et éligible sur le lieu dans lequel vous êtes candidat, vous pouvez vous présenter aux élections. Mais c’est un tout petit peu faux pour plusieurs raisons, l’une d’entre elles concerne les bulletins de vote.
Dernièrement, certains d’entre nous ont (re)découvert le bulletin de vote étatsunien : une succession de questions sur un seul bulletin.
Quand on connait la simplicité enfantine de notre système de bulletin de vote français, chaque candidat dispose de son propre bulletin et on ne vote que pour répondre à une seule question à chaque élection, on ne peut qu’être surpris à la découverte d’un scrutin dans lequel on est appelé à s’exprimer sur une multitude de questions différentes.
En France, on préfère faire « simple », quitte à prendre les gens pour des cons.
Lors d’un scrutin, on n’utilise pas de stylo (surtout pas !) car cela pourrait, selon nos législateurs, altérer la sincérité d’un scrutin.
Oui, cocher une case, ça doit être trop compliqué pour l’électeur français.
Lors d’un scrutin, chaque proposition dispose de son propre bulletin. Lors d’un référendum, on posera systématiquement une question fermée, quitte à ce que la question soit stupide, pour proposer à l’électeur deux bulletins : Un pour le « oui », un pour le « non ». Lors d’un référendum, c’est l’État qui fournit les bulletins.
Cela se complique un peu lorsqu’on procède aux élections de personnes.
À l’exception des élections européennes, toutes les élections de personnes en France se déroulent en deux tours afin de permettre « la pluralité » des expressions citoyennes lors du premier, mais de simplifier le résultat au maximum lors du second, de manière à limiter drastiquement cette pluralité, à simplifier l’issue d’un scrutin, sa lecture par ce con d’électeur qui ne pourrait pas comprendre qu’il y ait trop d’orientations politiques différentes dans une assemblée élue, et surtout, comme je l’ai déjà longuement expliqué dans un précédent article, à limiter le plus possible les blocages politiques qui contraindraient à la recherche d’un consensus équitable entre les différentes représentations citoyennes qui composeraient alors l’assemblée, blocage qu’une majorité, élue par notre système électoral injuste, ne rencontrera jamais.
Ceci étant dit, ne croyez surtout pas qu’il suffit de présenter sa candidature pour avoir des voix aux élections en France.
Des bulletins qui font cens
Non, présenter sa candidature c’est seulement la première étape.
Dans un scrutin uninominal, c’est une étape assez simple, il suffit de se trouver un suppléant et de passer rapidement en préfecture déposer un formulaire CERFA correctement rempli, et vous verrez votre nom figurer sur la liste des candidats et on vous fournira des panneaux d’affichage, mais la liste de ce que l’État vous fournira s’arrête là.
Pourtant, pour que les règles soient équitables, la raison voudrait que l’État vous fournisse également des bulletins de vote pour que les gens aient la capacité de voter pour vous. Après tout, vous êtes candidat, comme tous les autres candidats, et, comme tous les autres candidats, vous devriez avoir le droit de disposer de bulletins de vote à votre nom.
« Mais c’est déjà le cas, il y a toujours des bulletins de vote pour tous les candidats dans les bureaux de vote ! »
Non.
Oui, il y a des bulletins de vote dans les bureaux de vote, et s’il y en a c’est bien que quelqu’un s’en est occupé. Mais saviez-vous que l’impression des bulletins de vote était à la charge du candidat ?
« Oui mais l’État les leur rembourse, ce n’est qu’un investissement ! »
Non. L’État ne rembourse que les bulletins de vote des candidats qui ont fait plus de 5% des voix exprimées lors d’une élection française.
Et pour espérer obtenir 5% des voix exprimées, c’est quand même mieux d’avoir des bulletins…
Notre système électoral ne permet finalement qu’aux personnes qui disposent de suffisamment d’argent pour payer leurs bulletins de se présenter aux élections, et ces personnes prennent le risque de perdre définitivement cet argent.
Combien ça coûte, des bulletins de vote ?
Cela dépend de combien vous en voulez, cela dépend de combien d’électeurs sont inscrits dans l’endroit dans lequel vous vous présentez. Pour une élection législative, vous devrez débourser entre 500 et 1000 € rien que pour financer ces précieux bulletins. Mais si vous voulez que les électeurs sachent que vous existez, il vous faudra également payer des affiches que vous devrez coller par vos propres moyens, et des circulaires que l’État, dans sa grande bonté, enverra à tous les électeurs quelques jours avant le jour du scrutin.
Une candidature aux législatives, si vous ne comptez que la propagande prise en charge par l’État dès lors que vous dépassez les 5% de voix exprimées, peut coûter entre 2000 et 4000€.
Cet argent, beaucoup de candidats n’en reverront plus jamais la couleur après avoir perdu le scrutin. Mais si vous avez la chance d’appartenir à un parti politique, vous pourrez peut-être dépenser un peu moins d’argent grâce à une économie d’échelle bien connue des imprimeurs et de leurs clients.
Tout ce papier et toute cette encre sont souvent financés par les partis politiques à qui les imprimeurs font un prix de gros, et par ce jeu d’économie d’échelle, cela va coûter moins cher de payer 1000 bulletins pour 1000 personnes que de payer 1000 bulletins pour une personne.
Donc pour être candidat, il faut avoir de l’argent et/ou faire partie d’un parti politique qui a de l’argent.
Bien sûr, un candidat peut faire appel à des dons de personnes physiques pour financer sa campagne, dons qui sont plutôt bien réglementés et plutôt très surveillés, une surveillance accrue ces dernières années suite à l’apparition de différentes affaires portant sur les financements de campagne. L’enquête la plus récente en la matière dévoilait que le Conseil Constitutionnel lui-même avait couvert certaines pratiques illégales pour éviter d’entacher la sacro-sainte fonction présidentielle. Et pour arranger tout le monde, et pour éviter les scandales, le Conseil Constitutionnel a traité chacune des campagnes de la même manière, les candidats avaient presque tous explosé leurs budgets de campagne, mais aucun n’a été rejeté par la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques normalement chargée de contrôler les comptes de campagne, et surtout chargée de gérer les remboursements des frais de campagne.
Les candidats qui obtiennent plus de 5% des voix exprimées bénéficient donc du remboursement de leur campagne sur la base des factures fournies pour justifier les dépenses liées à la campagne. Ils bénéficient de la prise en charge de leur propagande de campagne régie par l’article R. 39 du code électoral : les bulletins de vote selon la règle prévue pour le scrutin, les circulaires A4 recto verso en couleurs, et des affiches dans deux formats différents à coller sur les panneaux officiels.
Un bulletin par candidat, ça fait beaucoup de papier, beaucoup d’encre, et pour un résultat qui ne peut être équitable.
Si les circulaires et les affiches peuvent rester à la charge des candidats (et bien que je considère cela plutôt injuste), les bulletins, et ce quel que soit le type de scrutin, pourraient faire l’objet d’une mutualisation.
Pour une élection uninominale (un seul nom sur le bulletin avec le nom du suppléant le cas échéant, comme lors des élections législatives), l’État pourrait fournir aux électeurs un seul bulletin de vote sur lequel l’électeur pourrait cocher la case correspondante au candidat pour lequel il souhaite voter.
Pour une élection binominale (deux titulaires, comme lors des élections départementales) on pourrait indiquer une liste des candidatures sur un même bulletin avec les noms des deux candidats accolés à la case à cocher.
Pour les scrutins de liste (plusieurs listes de candidats, comme lors des élections régionales), on peut envisager également que l’État fournisse un seul bulletin de vote par électeur sur lequel serait indiqué le nom de la liste ainsi que les noms de quelques-uns des premiers candidats, comme le font d’ailleurs beaucoup de nos voisins européens.
Avec un seul bulletin par électeur, terminé le gâchis de bulletins, les sacs entiers de bulletins non utilisés qui finissent au recyclage disparaissent.
Après tout, un bon déchet est un déchet qui n’existe pas.
Avec un seul bulletin par électeur, plutôt que d’accepter ou non de rembourser des milliers de candidats issus de quelques dizaines de partis politiques avec l’argent public, le Conseil Constitutionnel veille à ce que l’État fournisse aux électeurs des bulletins sur lesquels figureront les noms des candidatures régulièrement déposées en Préfecture.
Avec un seul bulletin, n’importe quelle personne, n’importe quel groupe de personnes, peut espérer recueillir quelques voix sans devoir payer ce droit d’avoir des bulletins dans les bureaux de vote le jour de l’élection.
Ainsi, les résultats des élections seraient beaucoup moins conditionnés à la possession d’argent des candidats ou des partis qu’ils représentent.
Ce système de bulletin a un nom, il s’agit du bulletin unique.
Lorsque les porteurs de l’idée l’ont suggérée à nos élus, la réponse qu’ils ont obtenue n’était pas que cette proposition rendrait le vote plus compliqué, ni que pour une raison ou une autre, elle serait anticonstitutionnelle.
La réponse était beaucoup plus pratique que cela.
En vérité, la raison pour laquelle nos politiques rechignent à adopter ce principe de bulletin unique, c’est parce que le lobby des imprimeurs est trop important, parce que la charge de travail qui pèse sur les imprimeurs grâce à ces impressions est telle qu’elle leur permet de gagner énormément d’argent, telle qu’elle leur permet de survivre dans un monde qui va progressivement faire disparaitre l’usage du papier.
J’imagine par ailleurs que pour beaucoup d’imprimeurs, les partis politiques sont d’excellents clients, bien que très exigeants parce qu’ils sont soumis à des règles spécifiques pendant les élections, ils sont également de gros consommateurs très réguliers, de tracts, d’affiches, de livrets, de livres, d’enveloppes, d’autocollants, de cartes de visite et de goodies en tout genre.
À cette raison s’ajoute le fait que nous, pauvres électeurs, ou du moins pour les aristocrates qui nous gouvernent et qui décident pour nous, considèrent que les personnes qui gouvernent doivent au moins être assez riches pour pouvoir mener leur campagne par leurs propres moyens.
En attendant, cette moindre étape vers une représentation plus juste de la population attend patiemment d’être intégrée à notre code électoral.
P.S. : L’objet de cet article était d’aborder la question précise des bulletins de vote en France, je me réserve la possibilité de traiter de la question des partis politiques, de leur utilité réelle et de leur fonctionnement dans un ou plusieurs prochains articles. Sachez toutefois que mon appartenance à un parti politique ne signifie pas que je cautionne leur existence, bien au contraire.