Une histoire de vieilles meufs…

Je dois vous avouer un truc que les vieilles meufs dont j’ai eu la chance (non) de croiser la route ne semblent pas vouloir comprendre : je suis une femme libre et indépendante, je pense par moi-même, je prends mes décisions seule et je ne suis pilotée par personne. Mais pour illustrer tout ça, j’ai envie de vous raconter une petite histoire.

(Ce billet fait suite à un fil posté sur Bluesky, j’ai décidé de conserver ce genre de publications ici à l’avenir pour éviter de tout perdre une deuxième fois…)

Entre 2012 et 2013 j’ai été plusieurs fois agressée par un homme qui passait ses journées en bas de mon immeuble. Il s’agissait de « petites » agressions, il me qualifiait de « sale pute » quand je rentrais chez moi ou de « salope » quand j’allais chercher du tabac en face de chez moi, et ça s’intensifiait de plus en plus, plus je l’ignorais plus il était ignoble… si vous êtes une femme vous devez très bien imaginer le genre de personnage que cette raclure était.

Un jour, je l’ai un peu trop énervé. Il avait mis sa musique à fond dans sa voiture garée au pied de mon immeuble, il revenait d’une soirée, il était très éméché, il hurlait dans la rue. C’était un dimanche matin, il était à peine 5h et j’avais eu une nuit très courte à cause de mon travail. Hors de moi et particulèrement à bout de nerfs, j’ai perdu le contrôle, j’ai rempli un seau d’eau et je l’ai balancé par la fenêtre de mon appartement au 5ème et dernier étage de l’immeuble pour manifester ma désaprobation. Ce n’était pas la première fois qu’il réveillait tout le quartier, mais c’était la première fois que je réagissais comme ça. Il m’a vu fermer la fenêtre, est devenu rouge de colère, il a défoncé la porte sécurisée toute neuve de l’immeuble, il est monté chez moi en avalant les escaliers en quelques secondes puis il a défoncé la porte de mon appartement et il a hurlé « tu vas voir je vais tellement te cogner que plus personne ne reconnaitra ta gueule ». Quand il a vu que j’étais en ligne avec la police il est sorti aussi vite qu’il est arrivé. La police est arrivée quelques secondes après qu’il ait quitté le quartier à toute allure dans sa voiture, une golf noire. Les policiers m’ont emmenée au commissariat pour que je puisse déposer une plainte qui n’a jamais eu de suite. J’étais sous le choc. Je suis ensuite rentrée chez moi et j’ai dû contacter un serrurier pour réparer ma porte… Notez, mon ex était là, mais tellement inutile que je n’en parlerai pas davantage. Un jour je raconterai peut-être comment il m’a enfermée dans le salon, se réfugiant dans la chambre pour fuir le courroux de cet homme et me laisser seule face à l’enragé.

Après cet événement traumatisant qui s’ajoutait à des mois de harcèlement de rue de la part du même énergumène, j’ai décidé de déménager. Je vivais alors à Paris, dans le 20ème arrondissement. J’ai cherché à bouger pas trop loin de mon travail du moment, mon bureau était situé à proximité du métro Stalingrad à Paris. Mon choix s’est arrêté sur un petit deux pièces à Pantin.

Deux semaines après cette intrusion j’ai donc déménagé dans mon nouvel appartement. J’arrive à Pantin au cours de l’été 2013, ou début de l’été, je ne sais plus.

À l’époque, j’étais membre adhérente et active d’EELV, j’ai donc changé de groupe local, passant du groupe de Paris 20 à celui de Pantin. En 2013, le groupe EELV Paris 20ème était le groupe local le plus gros et le plus influent de tous les groupes locaux du parti. C’est probablement toujours le cas. Il pouvait justifier de plus de 200 membres adhérents dont une bonne vingtaine d’actifs, avec un responsable « chef de file » très connu, grand ami de la Secrétaire nationale de l’époque. Quand je l’ai rencontré il m’avait accueillie à bras ouverts. C’était un homme très gentil, le coeur sur la main, très intelligent aussi avec beaucoup de choses à raconter et une culture politique absolument passionnante. Il est décédé depuis je crois, mais j’en ai vu peu des comme lui.

Le groupe local de Pantin, en revanche, c’était 3 ou 4 personnes actives et peut-être 20 à 30 membres.

On est bien d’accord, la raison de mon déménagement c’est que je me suis faite agresser, pourtant mon engagement politique personnel est très vite devenu un sujet d’attention.

En 2013, quelque fut mon lieu de vie, j’avais de toute façon prévu de m’investir sur la campagne électorale locale pour les élections municipales. J’étais jeune, 25 ans, je voulais aider et acquérir de l’expérience sur le terrain. J’étais d’ailleurs déjà bien engagée sur la campagne du 20ème, on m’avait mise sur la liste des candidats.

Mais j’étais aussi déjà très calée sur le code électoral, j’avais une campagne électorale en tant que candidate titulaire à mon actif (pendant les législatives de 2012) et j’avais déjà suivi deux campagnes électorales en tant que chargée des élections, poste que j’occupais depuis 2011 pour le siège national d’EELV. Avec l’ambiance qui règnait dans le monde politique, et qui règne sans doute encore aujourd’hui, la plupart des gens pensaient que j’étais très ambitieuse, que j’avais les dents qui rayaient le parquet, que je voulais être élue et que j’allais devenir très vite dangereuse pour toute personne sur mon chemin, je l’étais surement déjà aux yeux de certaines personnes. La réalité, c’est que ma candidature en 2012 était sur la circonscription de Nicolas Dupont-Aignan, circonscription réputée ingagnable car il gagnait dès le premier tour depuis des années. En tant que chargée des élections, c’était mon travail de savoir ça, donc personne ne m’a vendu du rêve quand on m’a proposé de participer aux législatives. En 2012, j’avais fait une campagne pour obtenir le 1% pour EELV. J’ajoute que toutes les campagnes législatives auxquelles j’ai participé après celle-ci, pour le Parti Pirate, en 2017 puis en 2022, avaient exactement le même objectif, obtenir 1% des voix. À aucun moment je n’ai pensé que je serai élue lors de ces trois campagnes, et je n’ai jamais eu envie être élue députée, ça ne m’a jamais fait rêver, ça ne m’a jamais motivée.

En fait, globalement, être élue n’a jamais été mon objectif (sauf peut-être à un moment j’aurais bien envisagé d’entrer au Sénat, mais ça n’a pas duré longtemps). Moi, je voulais bosser sur le terrain, j’aimais bien conseiller, aider les bénévoles, participer aux campagnes, faire des analyses du terrain et savoir à l’avance quels seraient les résultats, et pour ça j’étais très douée. J’ai développé un algorithme très personnel qui me permet de déterminer assez finement, sur la base de plusieurs données locales, des retours d’expérience militants et de mon feeling (oui, parfaitement, et il se trouve que j’ai le nez assez creux pour ces trucs là), quels seront les résultats d’une élection. Et je me trompe rarement.

Donc, en arrivant à Pantin, je m’investis dans le groupe local et j’y suis là aussi accueillie à bras ouverts par la cheffe de file locale, une femme d’une quarantaine d’années à l’époque. Parce que oui, une jeune femme qui veut s’engager, ils n’en ont pas beaucoup et ça rend bien sur les photos. Je suis jeune, je suis jolie, je suis éduquée, je m’exprime bien, elle ne m’a pas demandé ce que je faisais exactement dans la vie mais elle finit par comprendre que je bosse sur les élections, je deviens donc rapidement une personne ressource pour tout le monde sur la campagne, pour elle aussi, elle m’associe très vite à sa garde rapprochée, je suis conviée à des réunions stratégiques de son bureau politique. Je dois bien avouer, rétrospectivement, que le niveau de réflexion de ces réunions n’était pas exceptionnel. En fait j’ai rarement eu l’occasion de participer à des réunion de bureau politique dont les sujets de discussions ne tournaient pas autour de personnes à démolir, et à chaque fois qu’il en a été question, j’étais particulièrement mal à l’aise. La dernière fois que c’est arrivé, j’ai dit que je refusais de participer à une telle discussion, il était hors de question que je prenne part à ce genre de campagne de diffamation. Je me suis levée et, telle une Adèle Haenel aux Césars, je me suis cassée. Mais à 25 ans, je n’avais pas encore suffisamment d’assurance pour me casser et, surtout, j’avais malgré tout envie de participer à la campagne pour mieux comprendre mon travail.

Au début, comme à chaque fois que j’arrive dans un nouvel endroit, j’étais plutôt du genre réservé, je n’intervenais que si on me demande mon avis, j’observais beaucoup les gens autour de moi, j’analysais la façon dont ils parlaient aux autres et je prenais des notes dans ma tête. Vous le savez, j’en parle souvent, j’ai déménagé plein de fois. Cela implique que j’ai appris, par la force des choses, à m’adapter à tout nouveau microcosme, à créer du lien, à écouter pour comprendre les gens autour de moi, connaitre le terrain et m’intégrer autant que possible. À Pantin ça a été plutôt facile, au début.

Au fil des mois, la campagne électorale s’intensifiait. La cheffe de file m’a proposé d’être sur la liste à une bonne place en me racontant la même histoire qu’on raconte à n’importe quel newbie en politique : « si on fait une bonne campagne tu seras élue, tu verras ! ». J’étais donc à la 9ème place de sa liste.

Je savais que la liste du sortant avait de grandes chances de l’emporter au premier tour.
Je savais que la liste dans laquelle j’étais obtiendrait entre 11 et 13% des voix au premier tour.
J’avais évidemment appliqué mon algorithme personnel à cette élection là.
Je savais donc que je ne serais pas élue, et qu’elle me mentait.
Avait-elle conscience de me mentir ? Il y avait deux réponses possibles à cette question.
Soit elle mentait consciemment, ce qui est grâve mais récurrent en politique, c’est même la base pour gravir les échelons, elle était consciente qu’elle racontait des histoires pour motiver ses troupes, en soi, bon, je peux le comprendre, c’est une stratégie comme une autre.
Soit elle mentait inconsciemment, donc elle ne savait pas qu’elle n’avait aucune chance de remportait la mairie, et pour le coup je ne savais pas ce qui était le pire entre un mensonge conscient et un mensonge inconscient, parce que si elle était persuadée d’être en capacité de l’emporter cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : elle était très stupide et ne connaissait pas du tout le territoire sur lequel elle se présentait, sur lequel elle était d’ailleurs déjà élue. Et c’est peut-être aussi grave, si ce n’est davantage, que de raconter des mensonges consciemment pour motiver les gens à faire sa campagne…

Pour la petit histoire, si j’étais restée dans le 20ème j’aurais eu beaucoup plus de chances d’être élue au conseil municipal. Mais je savais que la liste sur laquelle j’étais finalement candidate à Pantin aurait 2 ou 3 élus quelque soit le résultat de l’élection et donc que je n’avais aucun risque de devoir me taper des conseils municipaux pendant les 6 prochaines années.

Vraiment, ça ne m’a jamais intéressée

Un mois avant l’élection, j’ai fini par expliquer mon analyse à la tête de liste, au second de la liste et au responsable du groupe local. Le second de la liste a été le seul à me croire, les deux autres se sont foutus de moi. La tête de liste m’a accusée d’être défaitiste et de mépriser sa campagne.

C’est à partir de là que ça a commencé à dégénérer sérieusement. On ne s’est quasiment pas adressé la parole pendant le dernier mois de la campagne. Elle allait jusqu’à me dire de ne pas venir sur le terrain, elle m’a dit un jour qu’elle estimait que j’étais trop blanche, trop jeune et trop féminine pour distribuer des tracts dans les cités de la ville.

Le jour de l’élection, les résultats sont tombés, c’était net, sans bavure. Comme je l’avais indiqué un mois plus tôt, le maire sortant a remporté la mairie dès le premier tour, de justesse certes, avec 50.54% des voix. La liste écologiste obtenait quant à elle 12.53% des voix en envoyait finalement 3 élus au conseil municipal. Juste devant notre liste, une liste divers gauche obtenait 13.13% de voix. Et plutôt loin devant, la liste de la droite menée par un jeune militant ambitieux très proche de Valérie Pécresse, toujours élu au conseil municipal aujourd’hui et qui finira, quelques années plus tard, au Conseil régional d’Île-de-France, finissait deuxième du scrutin avait un score très honorable de 20.85% des voix.

J’avais tweeté le soir même de l’élection que ce résultat à Pantin n’était pas très surprenant, que je l’avais vu venir gros comme une maison. Quelques heures plus tard, le responsable du groupe local m’envoyait un sms pour me dire qu’il n’aimait pas les « Mme Irma », je n’étais donc plus la bienvenue dans son groupe local.

Quelques semaines plus tard, la tête de liste racontait à qui voulait l’entendre que la raison pour laquelle j’avais emménagé à Pantin c’était parce que mon ex (le mec inutile du début de mon histoire) m’y avait placée pour que je la remplace et que je sois élue au Conseil Départemental en 2015.

Ouais, mais non.

Toute ma carrière, la totalité de ma carrière, je l’ai passée à subir ce genre de rumeurs. Celle-ci en était une parmi d’autres, toutes pour raconter une version tordue de la vérité pour servir le narratif d’une personne qui a besoin de justifier son comportement déplorable vis-à-vis de moi. Et, globalement, toutes les rumeurs à mon sujet visent à me réduire à une pauvre fille sans cervelle qui est pilotée par je-ne-sais-qui pour faire je-ne-sais-quoi qui va forcément nuire à la personne à l’origine de la rumeur. J’imagine que si on détruit ma réputation alors je ne peux plus être une ménace. Cela doit être logique dans leur esprit tordu.

Cette femme, comme toutes les femmes qui racontent ce genre d’histoires sur moi, comme quoi je serais pilotée par des hommes, que l’on m’a recrutée pour leur nuire, leur objectif est d’écraser n’importe quelle femme qui pourrait les menacer ou menacer leur position sociale durement acquise. Cette femme là a eu peur de moi parce que j’ai osé apporter de la nuance et de la contradiction à son discours, j’ai osé lui dire que non, elle ne pouvait pas l’emporter devant le maire sortant alors même qu’elle racontait cette petite histoire là à toutes les personnes qui la suivaient. Je lui avais pourtant dit ça en privé à l’occasion d’une discussion en petit comité… Mais elle s’est sans doute aussi sentie menacée parce que j’avais eu l’audace de la contredire au sujet d’un point précis du droit électoral en pleine réunion de campagne. Elle avait dit une connerie au sujet de la construction de la liste, quelque chose qui arrangeait bien ses affaires sur la construction de la liste pour le conseil communautaire, un mensonge tellement gros que, par acquis de conscience, je ne pouvais pas laisser passer.

C’est un comportement que j’ai retrouvé chez d’autres femmes, un comportement qu’avec des copines on qualifie de vieille meuf, des femmes plus âgées qui humilient des femmes plus jeunes, qui les rabaissent, qui font circuler des rumeurs horribles à leur sujet et qui vont tout faire pour les silencier. J’ai décidé que j’étais plus forte que ces femmes là, j’ai décidé que je ne tomberai pas dans leurs pièges. Je ne dis pas que j’ai toujours réussi mais j’essaie de m’en tenir à cette ligne de conduite parce que c’est ma vie, ma santé, ma réputation et mon intégrité qui sont en jeu.

Un ami m’a rappelé récemment qu’on ne jouait pas aux échecs avec un pigeon, ça s’applique à cette vieille meuf là et à toutes celles qui peuplent malheureusement ce monde. Notez, les femmes plus âgées ne sont pas toutes des vieilles meufs et les vieilles meufs ne sont pas forcément plus âgées, c’est comme l’âge mental, c’est dans la tête, c’est dans leurs actes qu’on reconnait les vieilles meufs, celles qui ont perdu leur âme en cours de route.

Je veux être une femme qui soutient les autres femmes, qui les accompagne dans leurs combats, qui les conseille, mais je me suis jurée que plus jamais je ne perdrais mon temps et mon énergie pour une autre vieille meuf. Ces femmes là ne sont finalement que des mâles toxiques comme les autres. Elles ont tellement bien intégré le sexisme systémique qu’elle ne se rendent même plus compte qu’elles en appliquent tous les codes, c’est pourtant assez flagrant.

Et si moi je suis une menace pour elles c’est qu’elles ne doivent pas être très solide sur leurs appuis, mais moi je dis ça…

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À Propos de l’autrice

Militante politique antifasciste, libertaire, démocrate et féministe. Salariée puis cadre de partis politiques, je décide de mettre fin à mon engagement partisan en 2023 pour me libérer de l’impact négatif et de l’entrave des partis politiques. Spécialisée dans l’analyse et l’application des méthodes de décision et sur les fonctionnements des organisations, je suis aujourd’hui consultante en stratégie et en gestion, à mon compte. J’anime régulièrement des lives politiques sur ma chaine Twitch, sinon je construis des applications pour faciliter la vie des gens et, parfois, j’écris des articles.