Avec la recrudescence de l’abstention, nombre de personnes plus ou moins spécialistes, souvent spécialistes auto-proclamées, ont émis des hypothèses qui permettraient, selon elles, de ramener la population vers les urnes. Mais une question subsiste. Pourquoi voulons-nous absolument que des gens qui n’ont pas envie d’y aller aillent voter ?
Le système électoral actuel nous invite presque tous les ans, parfois même plusieurs fois par an, à voter pour des personnes qui prendront des décisions à notre place pendant toute la durée de leur mandat.
Non seulement ces personnes ne représentent, en définitive, qu’une portion non majoritaire de l’électorat, mais en plus elles n’ont absolument aucune contrainte dans leur prise de décision, c’est à dire que quelques soient les engagements que ces personnes ont pu prendre pendant leur campagne électorale, rien ne les oblige, si ce n’est une loyauté trop souvent inexistante, à mener la politique qu’elles ont annoncé qu’elles mèneraient. Et très franchement, qui le leur reprochera ? On dit bien qu’il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis, et il est plutôt sain de changer d’avis sur des positions qu’on a pu avoir pendant une époque mais qui ne sont plus viables au vu de l’évolution de la société dans laquelle nous vivons.
Ceci étant dit, pourquoi devrions-nous voter pour des gens qui ne nous représenteront pas et qui n’ont absolument aucun compte à nous rendre ? Pourtant, combien de fois a-t-on entendu parler de vote obligatoire depuis l’annonce du chiffre de l’abstention des dernières élections ? Et même plus largement, combien de fois avons-nous entendu parler d’obligation de vote en général ?
Et donc pourquoi devrions-nous rendre le vote obligatoire ?
Notre système électoral représentatif ne fonctionne plus. Les personnes actuellement élues ne nous représentent pas. Pire, le système actuel donne les pleins pouvoirs à une minorité virtuellement majoritaire à cause de règles électorales iniques telles que la prime majoritaire, le scrutin majoritaire à deux tours ou encore des scrutins « proportionnels » mais là encore, à deux tours.
Il existe un nombre impressionnant d’ajustements possibles pour rendre équitable un système qui ne l’est pas, et parmi ces ajustements, un en particulier : La démocratie délégative.
On appelle « démocratie délégative » le système permettant à chaque personne en capacité de voter de voter directement sur une proposition ou de déléguer sa voix à une ou plusieurs personnes pour un (ou plusieurs) sujet(s). Ce système, théorisé très récemment au regard de tous les systèmes que nous appliquons déjà à travers le monde, est finalement un savant mélange entre la représentativité que nous appliquons en France et la démocratie directe appliquée chez nos voisins suisses.
Plutôt que de voter pour quelqu’un qui décidera à votre place sans vous rendre de comptes, vous votez vous-même, ou vous déléguez votre voix.
Simple. Basique.
Et vous n’avez aucune obligation. Aucune obligation de voter, aucune obligation de déléguer votre voix, aucune obligation de laisser votre voix entre les mains d’une personne qui aurait trahi ou déçu. Avec ce système, à n’importe quel moment vous pouvez reprendre une voix que vous auriez délégué à quelqu’un pour voter vous-même, ou la donner à quelqu’un autre.
La démocratie délégative est aussi appelée « démocratie liquide » justement pour cette capacité à rendre fluide la prise de décision. Ainsi, nous retirons la contrainte évidente et inutile que pose la représentativité. Les gens votent s’ils le souhaitent, quand ils le veulent et sur les sujets de leur choix. Ou bien ils passent la main s’ils le souhaitent, quand ils le veulent et sur les sujets de leur choix.
Avec ce système, on ne vote pas tout le temps sur tout. On choisit. Et on peut aussi choisir de s’abstenir.
Le principe de la démocratie délégative c’est de laisser les décisions entre les mains de la population. Mais tout le monde ne sera pas forcément concerné par toutes les décisions, ou en capacité de décider. Tout le monde n’a pas envie de décider sur tout tout le temps.
Alors oui, la démocratie délégative accepte l’abstention, elle accepte que vous refusiez de vous exprimer pour une raison ou pour une autre. Elle accepte que vous laissiez le soin aux autres de décider avec votre voix, ou même sans votre voix, sans vous. Et si une décision ne vous convient pas, vous ne pourrez vous en prendre qu’à vous même pour ne pas avoir participé au vote, mais surtout au débat.
Parce que oui, la démocratie délégative ne peut fonctionner qu’à une seule condition plutôt simple : Il faut rétablir le débat. Mais on ne parle pas du traditionnel et simpliste débat « gauche contre droite », ou d’un débat stérile qui consisterait à savoir qui, parmi un choix de candidatures aussi large qu’il y a de partis politiques pour les soutenir, serait à même de prendre des décisions à notre place pendant une durée plus ou moins longue. Non, là on parle d’un autre débat, un débat d’idées, construit, intelligent, avec des enjeux qui dépassent largement les petits égos de notre actuelle représentation politique. Je suis consciente du fait que vouloir un débat d’idées est de l’ordre de l’utopie dans un pays qui laisse tous les pouvoirs entre les mains d’un homme qui n’a aucune idée qui lui soit propre, ni la conviction suffisante pour mettre en application les quelques idées qu’il a prétendu vouloir appliquer pendant sa campagne. Je sais que cela peut sembler également utopiste de penser que la population française est capable de prendre des décisions importantes pour son présent et son avenir en pleine conscience alors qu’elle est à deux doigts de donner les pleins pouvoirs à une organisation politiques raciste, liberticide et potentiellement la plus dangereuse de toutes pour la survie du peu de démocratie qu’il nous reste encore en France.
Et pourtant, je reste convaincue que nous sommes capables de prendre des décisions par nous même, et que ce système électoral actuellement en vigueur consistant à donner les pleins pouvoirs à une personne pendant le temps d’un mandat est un système infantilisant et dangereux.
Alors, allons-nous continuer à considérer que des personnes que nous estimons capables de choisir pour qui voter une fois de temps, sur la base d’une documentation qui tient sur une feuille A4 recto-verso, sont incapables de choisir, sur la base de débats et d’informations publiques, en pleine conscience des sujets sur lesquels la décision va porter et en prenant le temps du débat et de l’acquisition de connaissances nécessaires suffisantes à un choix éclairé, pour quoi voter tout le temps ?