Combien de fois avez-vous entendu des militants associatifs ou des collectifs se défendre de faire de la politique, voire se revendiquer apolitique, ou apartisan, avec fierté. Combien de fois avez-vous entendu des critiques vives sur tel ou tel parti politique, ou sur les partis politiques en général, «tous pourris», des «écuries à élus»…?
Les partis politiques traditionnels ont laissé peu à peu leur place à des « mouvements » politiques qui sont bien souvent le fruit d’une stratégie de communication politique électoraliste. Ces mouvements, qui participent à la vie politique en présentant des candidatures, en proposant un programme, en concourant à la vie politique de la Ve République, refusent souvent d’être assimilés à des « partis ou groupement politiques » au sens constitutionnel du terme.
« Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. »
Constitution de 1958
Lorsqu’Emmanuel Macron lance En Marche, un mouvement politique « ni de droite, ni de gauche » qui reprend les initiales de son créateur, l’ambition est clairement annoncée dès le départ : Cette organisation sera centrée autour de son créateur et travaillera pour sa seule réussite.
S’il a effectivement remporté la présidentielle et son troisième tour, les législatives, dans la foulée, le mouvement politique d’Emmanuel Macron n’a fait qu’échouer lamentablement à toutes les élections qui ont suivies. Créé pour bouger les lignes, il a tellement bousculé l’échiquier politique de notre pays qu’il a entrainé la chute d’une institution en particulier.
Le Parti Socialiste, qui formait encore pour quelques mois après la création d’En Marche la majorité de notre pays, n’a engrangé que 6% des voix lors de l’élection présidentielle de 2017, et a enchainé par la suite une série d’échecs dont il lui sera très difficile de se remettre un jour.
Ce parti politique fondé en 1969, notamment par la SFIO qui existait en France depuis 1905, est passé de la grosse puissance politique qu’il a toujours été, et qu’il a toujours cherché à rester en verrouillant toujours un peu plus le système à son avantage, à un parti minoritaire luttant pour continuer à exister, et ce en un claquement de doigts si l’on considère son histoire. Cette chute fulgurante lui aura été fatale.
Tout comme Europe Écologie-Les Verts avait dû le faire quelques mois plus tôt voyant sa situation financière impactée par une série de départs de ses cadres, des départs imprévus et souvent très violents, le Parti Socialiste a lui aussi été contraint de se séparer d’une partie conséquente de son personnel ainsi que de son siège national historique situé rue Solférino, à Paris, après son cuisant échec aux échéances électorales de 2017.
Pris en étau entre En Marche d’un côté, incarnée par Emmanuel Macron, un ancien Ministre du Gouvernement de François Hollande, et la France Insoumise de l’autre, incarnée par Jean-Luc Mélenchon, un ancien proche de l’un de ses plus importants leaders, Michel Rocard, le Parti Socialiste n’a pas su résister.
Comment aurait-il pu ?
Comment aurait-il pu survivre à cette guerre ouverte ?
Comment aurait-il pu survivre à ce nouveau monde qui s’écrit finalement sans lui depuis la chute de l’un de ses plus charismatiques cadors, le mentor Dominique Strauss-Kahn ? Le Parti Socialiste se meurt. Enterrons-le. Rendons-lui hommage. Il aura incarné pendant une grande partie de la vie de notre pays, sous la Ve République, une force sociale et progressiste, une « force tranquille ». Il aura aussi incarné à la perfection l’idée que l’on peut se faire d’un parti politique traditionnel : Une écurie à élus, constitué de cadres qui ne considèrent ses militants que comme de la chair à canon qu’on envoie sur le terrain pour se faire bouffer, ou pour bouffer les autres.
Le Parti Socialiste se meurt.
En mourant, il aura donné vie à plusieurs branches distinctes :
En Marche qui ne se revendique ni de gauche, ni de droite, tout en étant des deux bords à la fois si l’on en croit ses membres, et très à droite si l’on se contente d’en observer les choix politiques.
La France Insoumise qui se revendique de gauche, voire très à gauche, qui veut s’allier au Parti Communiste qui n’en veut pas.
Génération.s qui se revendique de gauche mais aussi et surtout écologiste, qui a pris au Parti Socialiste une partie de la base militante, et à EELV une (infime) partie de ses cadres et une (énorme) partie de son programme.
Quand, en 2009, Jean-Luc Mélenchon est parti fonder le Parti de Gauche, quelques mois après avoir quitté le Parti Socialiste, il avait sans le moindre doute dans son viseur sa propre candidature à la présidentielle de 2012. Et sa récidive avec la France Insoumise en 2016, puis avec Nous Sommes Pour ! en vue de 2022, ne font que confirmer cette volonté. Si en 2009, sa candidature n’était pas au cœur de sa démarche, il ne s’en est pas du tout caché en 2016 ni fin 2020. Jean-Luc Mélenchon sera candidat, que ce soit avec ou sans parti, mais ce serait quand même mieux avec… La France Insoumise est le reflet de cette volonté. Créée pour le soutenir dans sa démarche, elle a bouffé le Parti de Gauche qui est devenu depuis une ombre au service de ce nouveau « mouvement ».
Quelle différence y a-t-il entre En Marche et la France Insoumise ? Et quelle différence entre ces deux mouvements et tous les autres partis politiques traditionnels ?
Hormis le fait que la France Insoumise ne reprenne pas les initiales de son créateur et unique leader, elle reprend tous les codes des partis traditionnels mais en se gardant bien d’en donner la moindre preuve.
En Marche, de son côté, a fini par céder à la volonté de ses membres de poser à l’écrit un fonctionnement statutaire clair, qui donne sans la moindre équivoque tout pouvoir à son ou ses leader(s).
C’est le cas également du Parti Socialiste, des Républicains, d’Europe Écologie-Les Verts, de Génération.s, du Rassemblement National, du Modem, du Parti Communiste, de l’UPR, de l’UDI, de Debout la France, en fait c’est le cas de toutes les organisations politiques qui constituent aujourd’hui la scène politico-médiatique de notre pays, toutes sont construites selon deux schémas qui peuvent être complémentaires dans certaines organisations :
Soit autour d’un leader, les idées sont reléguées au second plan, on se fout de savoir comment le programme est construit du moment qu’il sied au leader et qu’il accepte de le porter.
Soit autour d’un programme politique ou d’une idéologie, le leader peut changer au fil des années mais il est quasiment impossible de remettre en question le programme, et si ce programme a pu sembler progressiste lorsqu’il a été décidé, il finit par enfermer le parti qui le porte dans une forme de conservatisme dont il lui sera finalement impossible de sortir sans changer de nom.
Toutes les organisations politiques de notre pays, récentes ou moins récentes, fonctionnent ainsi. Si le leader s’en va, l’organisation coule, et si le programme n’est pas respecté, l’organisation coule aussi. En mourant ou en organisant sa mort, elle peut donner vie à une ou plusieurs autre organisations, il y a parfois des scissions, des départs conséquents, des partis qui s’effondrent après un choix malheureux, après une décision contraire à l’avis du leader ou à la stratégie choisie… Et je crois que nous devons admettre que toute organisation construite ainsi, avec des fondations profondes, immuables, autour d’une personne ou d’une idée, selon une organisation traditionnellement hiérarchique, ne peut survivre dans une société qui change à toute vitesse telle que la nôtre.
Toutes ? Non, un groupe d’irréductibles Pirates a choisi d’adopter une organisation horizontale. J’y reviendrai.
Je suis bien consciente du fait qu’étudier les statuts des partis politiques ne soit pas forcément une activité très fun, mais si vous avez la curiosité un jour de vous pencher dessus, vous remarquerez assez rapidement à quel point ces partis politiques sont hiérarchiques et maintiennent à l’écart de leurs orientations stratégiques et politiques leur base militante. Enfin, non, pardonnez-moi, la France Insoumise n’ayant pas de statuts, c’est plutôt difficile de savoir qui décide chez eux, mais pour tous les autres c’est plutôt très clair. Ils décident, vous exécutez. Et si vous pensez que ce n’est pas le cas, alors soit vous avez déjà été candidat à la présidentielle (heureuse que vous preniez le temps de me lire, je vous invite donc ici à vous remettre en question), soit vous êtes tout simplement trop borné pour l’admettre.
La Ve République ne prévoyait pas qu’il n’y aurait que deux partis politiques pour toujours. Elle repose pourtant sur l’idée sous-jacente à l’époque de sa conception que la pluralité de l’expression démocratique se limite à deux grandes idéologies majoritaires qui rassembleraient en leur sein toutes les autres, et qui ne pourraient jamais véritablement changer puisque ces deux grandes idéologies maitrisent la communication et les institutions, et que, la communication étant purement descendante et les institutions suffisamment fermées sur elles-mêmes, c’est facile de décider en petit comité « républicain » de la petite histoire qu’on racontera aux électeurs.
Mais si cela était vrai en 1958, ce n’est définitivement plus le cas aujourd’hui.
Oui, il y a 60 ans, notre planète n’était pas encore équipée des réseaux de communication horizontaux dont elle dispose aujourd’hui.
Il y a 60 ans, il était facile d’étouffer quelque chose, d’empêcher des affaires compromettantes d’être ébruitées, il était facile de décider de ce qu’on allait raconter aux gens, de comment on allait le raconter et de qui le raconterait.
Il y a 60 ans on envisageait surement que le fait de laisser à l’extrême droite des opportunités de parler à travers cet homme bourru et malaisant qu’était Jean-Marie Le Pen nous permettrait de mieux lutter contre son émergence. Aujourd’hui, on n’entend plus que des représentants de cette idéologie et plus personne pour s’y opposer correctement. Et cela va même plus loin, pour draguer cet électorat, parce que l’opinion publique forgée par l’omniprésence médiatique des représentants de l’idéologie nationaliste y est favorable, on va jusqu’à prendre des mesures liberticides, inhumaines, ultra-répressives, on laisse la haine à la Une de tous nos médias, on s’offusque dès lors qu’elle exprime ce qu’elle a toujours exprimé, mais on ne propose plus rien, on ne cherche même plus à convaincre, on cède, petit à petit, à une opinion publique construite de toutes pièces par ceux qui nous gouvernent, on fait peur aux électeurs en agitant le drapeau noir du RN qui pourrait arriver au pouvoir en présentant face à lui des pantins crétins, des idiots utiles, des ânes à qui ont fait répéter le même disque rayé depuis des années sans plus vraiment savoir ce qui se cache réellement derrière le voile que l’on pose, nous sommes enfermés dans un cercle vicieux qui aura amené par lui-même cette idéologie aux portes du pouvoir.
Depuis 60 ans, les forces politiques au pouvoir n’ont eu de cesse de poser des limites à l’accession au pouvoir. La prime majoritaire, les seuils de remboursement à 5% ou pour se maintenir au second tour sans alliance partisane à 10%, la nécessité de déposer des listes complètes pour des scrutins de listes toujours plus longues, la démultiplication des échelons électoraux, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, l’obligation de payer ses propres bulletins, toutes ces dispositions, et bien d’autres, ont été prévues par nos gouvernants pour empêcher, selon eux, que notre République vacille, pour qu’elle fonctionne, pour son bien et notre bien à tous, certaines de ces mesures sont même volontairement décidées pour limiter l’accession au pouvoir des petites organisations.
La République actuelle est vacillante, elle ne repose que sur la bonne foi des élus qui la composent. Si demain notre Président décidait de s’arroger les pleins pouvoirs à vie, il en aurait le pouvoir, il en aurait la capacité, et qui viendrait s’y opposer ?
La France entrerait-elle alors dans une guerre civile ?
Si demain le Rassemblement National venait à ravir la présidence, les garde-fous qui ont été conçus pour l’empêcher d’accéder au pouvoir, et pour empêcher toutes les forces minoritaires de le revendiquer, ces garde-fous seraient alors à son bénéfice.
La stabilité de la République n’est qu’une illusion entretenue par nos gouvernants pour rassurer l’électeur. Notre République n’est pas stable, elle n’est pas non plus démocratique. Et alors que nous sommes à la recherche d’une expression démocratique, elle n’est plus en capacité de répondre à nos attentes.
La République doit changer, mais elle ne pourra changer si le changement est incarné par les mêmes qui l’ont construite ainsi, ni par des personnes qui s’arrangent bien de ce fonctionnement une fois au pouvoir. La République doit changer, et avec elle les partis politiques.
Les partis politiques peuvent et doivent incarner ce changement, c’est seulement à travers eux que nous pourront changer le système, ils peuvent servir pour entrer dans le système, ils doivent permettre de changer ce système, il est inutile d’aller chercher dans des mouvements prétendument apolitiques mais gérés comme les pires des partis politiques par les pires membres d’entre eux des solutions qui ne viendront jamais.
Si nous voulons vraiment aller de l’avant, nous devons incarner le changement à travers nos choix, à travers nos engagements, mais aussi et surtout à travers nos organisations et la façon dont nous prenons nos décisions.