Des nids de démocratie · 9 novembre 2020

Une majorité silencieuse

Combien de personnes votent en France ? Combien le peuvent ? Combien refusent de le faire ? Comment sont élus nos représentants aujourd’hui ? Notre système électoral est-il adapté à notre société ?

47 345 328 : C’est le nombre de personnes inscrites sur les listes électorales en France lors des dernières élections nationales, les élections européennes de 2019. 

En 2014, environ 6,5 millions de personnes étaient considérées comme « mal-inscrites », c’est à dire inscrites sur les listes électorales, mais pas dans la ville dans laquelle elles passaient le plus de temps dans leur vie. Si ce nombre était le même aujourd’hui, cela signifierait que près de 14% des personnes inscrites sur les listes électorales ne le seraient pas au bon endroit, ou à l’endroit le plus accessible pour elles pour voter.

En 2014, on comptait environ 3 millions de personnes qui n’étaient pas inscrites sur les listes électorales, on les appelle les « non-inscrits ». Si on considère que ce nombre n’a pas changé depuis 2014, et je n’ai pas trouvé de donnée plus récente à étudier, cela signifierait qu’environ 6% de la population française en âge de voter ne vote pas. 

On ne rappellera jamais assez qu’il vaut mieux changer son lieu d’inscription sur les listes électorales dès lors que l’on emménage quelque part, même si c’est pour étudier, même si c’est temporaire, même si aucune élection n’est prévue au cours des prochains mois, parce qu’on n’est jamais à l’abri d’avoir oublié qu’une élection aura lieu, parce que s’inscrire sur les listes électorales est beaucoup plus facile qu’on ne le croit depuis qu’on peut le faire quasiment partout sur Internet, et parce que le jour où vous déciderez d’aller voter, vous serez bien embêté de ne pas pouvoir le faire si vous n’avez pas pensé à vous inscrire, mais surtout parce que voter est un droit, et un devoir citoyen, quoi que l’on pense du système et des raisons pour lesquelles on nous propose de le faire. 

On ne sait jamais, peut-être que l’un des choix qui se présenteront à vous lors du prochain vote vous aura convaincu de vous rendre dans le bureau de vote le plus proche de chez vous pour exprimer votre avis.

Au second tour des élections municipales de 2020, 69% des personnes inscrites sur les listes électorales ne se sont pas déplacées pour voter. Si on considère le caractère exceptionnel de cette élection de 2020, exceptionnel parce qu’en pleine pandémie, on ne peut que constater que l’abstention est en constante progression d’une élection spécifique à l’autre, d’une année à l’autre.

Si je ne défends pas le système dans lequel nous sommes conviés à voter, je défends le droit de voter, et par ce droit celui de manifester un avis, quel qu’il soit, même si cet avis n’est pas partisan, même si vous faites le choix de voter blanc pour quelque raison que ce soit, même si vous rejetez ce système qui permet à des hommes et des femmes de devenir vos représentants pendant des années sans que vous ne puissiez les orienter dans leur décision, en sachant que ceux que vous soutenez ne seront très probablement pas élus, en sachant que les personnes qui seront élues le seront probablement pour représenter d’autres que vous, en sachant que les personnes qui seront élues ne défendront peut-être pas toujours vos intérêts, oui voter pour un représentant c’est frustrant, mais voter ne signifie pas toujours cautionner un système, cela signifie exprimer un avis. Et si voter signifie cautionner un système, de quel système parle-t-on ? Celui qui vous permet de ne pas exprimer d’avis ? Celui qui vous permet de donner le sens de votre choix à un vote blanc ? Celui qui vous permet d’indiquer votre opposition au système en vous servant de ce même système pour le faire et de la manière que vous jugerez la plus pertinente, qui en votant blanc, qui en votant nul, qui en votant pour quelqu’un qui propose de démissionner après avoir été élu pour provoquer une nouvelle élection, qui en proposant de lancer une Constituante pour une nouvelle République ?

Au dernières élections européennes, en 2019, 49,88% des inscrits n’ont pas voté. Si on ajoute à ces personnes les quelques 3 millions de non inscrits (nombre qui a sans le moindre doute évolué depuis qu’il a été calculé en 2012), cela porte le nombre de personnes qui n’auraient pas voté aux élections européennes à 26 millions, soit 3 millions de plus que de personnes qui ont voté. 

Même sans considérer les non inscrits, c’est près de la moitié des électeurs qui ne se sont pas déplacés aux urnes en 2019. 

«  Oui mais les européennes, tout le monde s’en fout. » 

En 2014, toujours aux élections européennes, l’abstention atteignait plus de 57% des électeurs, un nombre quasiment identique à celui du second tour des élections législatives de 2017.

Oui. Les législatives. 

C’est historique, en 2017, pour la première fois depuis le début de la Vème République, plus de la moitié de la population n’allait pas voter au premier tour des législatives.

Là aussi, vous allez me dire que tout le monde s’en fout ?

Ou bien était-ce l’effet Macron ?

À la Présidentielle, la même année, quelques semaines plus tôt, ce nombre était deux fois moins élevé. 

La Présidentielle, c’est important, mais de moins en moins si on regarde la progression de l’abstention au fil des années…

Que s’est-il passé dans notre République pour que si peu de personnes ne participent à décider de ceux qui nous y représentent ?

Et si le problème c’était justement que les électeurs en ont finalement marre de choisir le moins pire parmi un bande de « branquignoles » en qui ils ont perdu toute confiance ?

Aux municipales, combien de personnes élues l’ont été par plus de 50% du corps électoral ?

Une élection municipale avec un taux de participation à 41% devrait nous inquiéter et nous questionner tant sur la représentativité réelle de nos élus les plus proches de nous que sur le système leur permettant d’être élus. 

Avec une si faible participation, si on considère le score réel en comptant les voix en fonction du nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales et pas seulement en fonction du nombre de voix exprimées, qu’on affiche toujours en priorité à l’issue d’un scrutin, sans doute pour « cacher la misère », dès lors que l’on considère les personnes réellement concernées par les décisions qui seront prises pour elles et en leur nom, la « majorité » proclamée n’est finalement que très rarement représentative de la majorité réelle de la population. 

S’il est difficile de donner une explication unique à cette abstention record et progressive qui gagne les électeurs de notre pays, j’aimerais commencer par pointer à nouveau du doigt ce système de prime majoritaire qui rend invisible toute expression des minorités mais surtout qui laisse une minorité, certes la plus importante, décider seule, et sans la moindre possibilité d’opposition organisée des autres minorités, de ce qui est le mieux pour tout le monde.

En 2020, sur les 9989 communes de plus de 1000 habitants, 80 listes ont été élues par plus de 50% des électeurs inscrits sur ces communes au premier tour, aucune liste n’a atteint 50% des inscrits parmi les listes présentes au second tour. 

Cela signifie que seules 8% de nos communes de plus de 1000 habitants sont gouvernées par des représentants issus d’une majorité réelle de la population, les 92% des communes restantes sont donc gouvernées par la plus importante minorité de la commune. 

En 2014, sur 9567 communes de plus de 1000 habitants, 1430 listes avaient rassemblé plus de 50% des voix inscrites dans leur commune au premier tour, et seulement 3 au second tour. Quant aux régionales, aucun des exécutifs élus à l’instant où j’écris ces lignes ne l’a été par plus de 50% des électeurs inscrits.

Et si l’abstention était en partie due au fait que, quelque soit la liste, les règles actuellement en vigueur étant biaisées, les minorités ne pourront jamais être équitablement représentées ?

Et si la raison pour laquelle les gens ne vont plus voter, c’est parce que les dés sont pipés, et qu’ils sont bien trop intelligents pour continuer à jouer à ce petit jeu qui veut leur faire croire qu’ils ont un quelconque pouvoir sur les orientations de leur ville, de leur région, de leur pays, de l’Europe, alors qu’il n’en est rien ? 

Et si, tout simplement, les gens en avaient juste assez d’être pris pour des cons par une République obsolète, infantilisante et paternaliste ?

La date d’inscription sur les listes électorales a été rapprochée de la date de l’élection, certaines personnes pensent que cela permettra de diminuer le phénomène de mal inscription ou de non inscription, mais je suis prête à parier qu’il n’en sera rien, et cela ne limitera pas la progression de l’abstention aux diverses élections. 

Bien sûr, il faut envisager toutes les alternatives pour rendre plus facile et accessible l’inscription sur les listes électorale et la participation aux élections, mais il faudra surtout envisager d’autres mesures plus radicales, des transformations profondes dans le système électoral dans sa globalité pour permettre à toutes les minorités de tous types, soit, dans un premier temps, d’être idéalement représentées, soit, dans un second temps, de pouvoir s’exprimer en leur nom propre pour faire société, ensemble.

Sources